les dialogues en italique sont en japonais
Le macadam martelé par d’épaisses gouttes de pluie ne laisse entrevoir que les reflets vacillants des lumières urbaines. La nuit, encore loin de tomber, semble pourtant déjà bien installée sous les sombres et épais nuages recouvrant la Grosse Pomme. Le déluge que font se déverser ces derniers a, depuis quelques instants, vidé les trottoirs de la mégalopole et rempli les caniveaux. Chacun se presse à l’abri, courant çà et là en protégeant son chef de ce qui saura se substituer à un parapluie oublié. Journaux ou sacs font ce qu’ils peuvent pour maintenir ces crânes au sec, mais la pluie et le vent ont choisi de se montrer impartiaux aujourd’hui. Nul ne leur échappe à découvert.
Assis sur un capot de voiture, sandwich entre ses mains calleuses et tout juste lavées pour l’occasion, Orito admire le spectacle dans un silence à la hauteur du vacarme provoqué par les trombes d’eau qui se déversent devant la porte grande ouverte du garage. Encore une énième journée passée dans l’huile de moteur, ses vêtements, bras et visage teintés de noir et de sueur en témoignant mieux que n’importe quel discour. Immobile, si ce n’est sa mâchoire se mouvant à chacune de ses bouchées, le japonais profite d’une solitude qui a fini par faire partie de lui. Son employeur est parti à l’autre bout de la ville retrouver la commerciale d’une quelconque marque de liquide de frein, petite blonde bien roulée qu’il voit bien trop souvent pour que leurs rencontres se contentent d’être professionnelles et que son mariage soit réussi. Il la connaît, la blondinette, s’est laissé tenté une paire de fois avant d’en avoir sa dose et d’passer à autre chose. Il saurait parier sur l’hôtel qui les dissimule, sur la bouteille qu’ils auront commandée, sait mentir ouvertement à l’épouse bafouée en sortant son téléphone de sa poche arrière lorsque la sonnerie de celui-ci interrompt cet instant de tranquillité.
« Hey Wanda, quoi d’neuf ? » Mord dans son sandwich, respire la nonchalance.
« Il risque pas d’te répondre, il a oublié son portable au bureau. » Invente la plus conne et crédible des excuses tandis que ledit portable n’a cessé de vibrer dans la poche arrière d’un jean échoué au pied d’un lit remuant.
« Yep, je lui dirai à son retour. » Il aura sûrement oublié, cherche juste à couper court à tout interrogatoire dans cette discussion qui semble enfin prendre fin.
« Et, Wanda ? » Le mécano la relance brièvement, contre toute attente, capable de sociabilité lorsqu’elle sert ses intérêts.
« On tu passes ce soir ? » Sourire carnassier qui se dessine sur ses lèvres lorsque la réponse positive résonne au creux de son oreille, malgré l’hésitation l’ayant précédée. Voudrait pas laisser cette femme en reste, bien qu’elle n’ait pas un seul instant conscience qu’elle est aussi cocue que son mari. Elle l’attendra en bas de son immeuble ce soir, trompera son ennui et son mari en embrassant l’interdit qu’elle côtoie depuis plusieurs mois déjà.
Téléphone raccroché, sandwich terminé, Orito descend de son perchoir pour se remettre au boulot. Le mécanicien s’y perd de longues heures, tête dans les moteurs, avant que ne vienne l’heure de fermer boutique. Finit les derniers ajustements sous le capot d’une voiture qu’en a sûrement plus pour longtemps avant que deux phares ne viennent projeter son ombre sur le moteur crasseux de la rogne.
« Déjà de retour mec ? T’as fini par en avoir marre de la… » S’est retourné vers ce qu’il pensait être son ami et employeur, se retrouve face à une putain de limo qui fait tache avec le cul de sac miteux sur lequel donne son garage.
« C’est quoi c’bordel ? » Orito plisse les yeux, essayant de discerner une silhouette humaine derrière cette lumière qui finit par s’éteindre.
« Oi ! On est fermés ! Alors ta caisse tu m’la sors de devant la porte et t’attends demain ! »