(wp #01) / messaline maraï.

@Grisha Orlov & @Messaline Maraï

     Peut-être y-avait-il encore de l’espoir dans ce coeur atrophié, livide des coups de reins passagers ; peut-être y avait-il encore de l’espoir dans les prunelles mordorés de la femme aux mèches rouges, flamboyant sur ses joues des couleurs de mort. Assise sur le sol poussiéreux de son appartement mal isolé, mal soigné, un appartement vide de personnalité, aux murs blancs effroyables par leur vacuité,  elle épousait ce fatum de ceux qui s’abîmaient dans l’obscurité. La mort prenait des allures de compagne, elle découvrait son corps pour laisser son enfant dormir en son sein. Elle avait laissé tomber sa faux, elle avait caché son arme de violence pour devenir cette amie aux mots doux ; viens donc, là-bas ne règnent que calme, luxe et volupté. Assise sur ses jambes, deux branches raides, la peau sur les os, le visage tendre de la femme déchue se pourfendait de tristesse, un gouffre, un néant. Elle le voyait, devant ou derrière, lorsque les clients fermaient la porte, rejoignaient leur ami, se vantaient des prouesses, elle voyait les orages, elle voyait les abysses. Peut-être n’y avait-il rien de plus que la préparation à s’unir au noir, aux ténèbres. Assise, elle prit un crayon, un papier, gratta d’abord une phrase, puis deux, les relu, raya, supprima. A côté des mots qu’elle trouvait beau, se mélangeaient des termes juridiques, des noms précis, des lois. Et des psaumes lui revinrent. Elle pensa à sa mère, cette femme à la parole timide, chétive, un accent des pays slaves et la soumission des femmes d’époque. Peut-être était-elle née pour cela, pour s’allonger devant les priapées de ces hommes aux désirs multiples, mais toujours les mains dominaient, caressaient le corps offert, sa silhouette. Puisqu’elle ne souhaitait pas mourir tout de suite mais qu’elle voulut oublier son enveloppe, Messaline ne mangea plus ; elle buvait des thés, des tisanes. De semaines en semaines, elle se décharnait. Ne lui avait-il pas dit, Côme, qu’il baisait un cadavre ? Peut-être. Cela était vrai. Elle se mit à écrire, à ne plus voir les erreurs ; son cerveau oublia les sonorités saccagées, buttant sur les lèvres ; Messaline n’avait plus vu d’êtres vivants depuis quelques jours.

 Si tu me lis je suppose que tu n’auras pas sauté de la falaise.
 Si tu me trouves, mes mots n’auront pour toi qu’un semblant de sens. Ce que tu es je ne le sais pas, elle n’a jamais eu le temps de te le dire n’est-ce pas, que tu étais sa fille. Mais qu’une fille n’est rien qu’une monnaie dans une société phallocrate.
 Si tu me déteste je comprends, je te détesterai aussi.
 Après tout, ta vie ne vaut rien. Puisque tu sembles détenir un vagin et que l’on a mis sur ce sexe une malédiction basée sur des rites ancestraux et des sentiments possessifs. Ils ont su, ils ont surtout voulu, que la femme leur appartiennent, ainsi la vie et la natalité, la survie de l’espèce humaine, ils les posséderaient.
 Si tu me regardes alors que j’ai fermé les yeux, si tu m’admires alors que j’erre dans les tréfonds du désespoir, tu es sûrement un homme, ou une femme ayant intégré pour son malheur tous ces préceptes que l’on impose à ces gamines.
 
 La main s’encre de la haine, pour elle, cette haine. Elle implose, explose, un bourgeon sur le baobab de ses idées noires ; il y a dans le myocarde une énergie pleine qui n’ose dépasser les limites peintes par le bout des doigts rongés. Elle a le regard des martyrs, et elle entend les soupirs de ces personnes qui prétendent tout connaître. Il y a des gens qui jugent, se permettent de dire des phrases si idiotes mais blessantes, mais cruelles. Moi si j’étais à ta place, certainement que je n’aurai pas fais comme ça ! Tu avais les moyens de t’en sortir et tu n’as rien fais, non tu t’es embourbé, maintenant tu ne peux t’en prendre qu’à toi même. Avant y avait-il peut-être de l’espoir. Il y avait certainement un esprit qui régnait pour le bien de la communauté, une solidarité. C’est que tu l’as voulu, cet état, n’est-ce pas. Et ton suicide ? Elle prit les médicaments, sagement alignés sur le rebord de l’évier, miroitant sa propreté. Dans l’appartement trônent le blanc impersonnel de la purge, chaque soir, à une ou deux heures du matin, lorsque le dernier client claque la porte, Messaline s’élance vers l’aspirateur et la serpillière, les produits d’hygiènes qui lui décapent les mains. Un par un elle avale les cachets ; elle n’a pas lu que cette manière d’attenter à sa vie ne servait pas à grand-chose, que le taux d’échec égalait la majorité.

 Que ta mort soit lente afin de t’absoudre de tes péchés.
 Que ta mort soit lente afin de regretter cette misère gémissant dans ton sang.
 Parce qu’il n’y a rien de bien à vivre, tu survis d’ailleurs, dans un champ de mine, un paysage de ruines.    

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